Histoire:29 novembre 1988
Un néon clignotant produisait cette lumière doucereuse et jaunâtre dans les toilettes sales de ce petit hôpital désaffecté et depuis peu occupé par des jeunes drogués. Le son régulié d’une goutte d’eau s’écrasant au fond du lavabo noir de crasse brisait le silence qui régnait dans le bâtiment.
Derrière une des multiples portes de plastic vert se trouvait une jeune femme. Tout juste âgée de dix-huit ans, la belle asiatique aux longs cheveux noirs et aux yeux bleus hérités de sa mère européenne, répondait au prénom de Setsuka. Comment une jeune femme si belle, issue d’un milieu si aisé et si prometteuse dans ses études avait put se retrouver ici?
La réponse était très simple: l’amour. Oui, cette jeune femme était tombée amoureuse et apparemment pas de la bonne personne. Elle qui était la fille la plus populaire du lycée ainsi qu’une des meilleures élèves, avait succombée au charme d’un jeune voyou qui se faisait remarquer par son look et son attitude rebelle.
Le danger est quelque chose de tentant mais qui finit par nous tuer peu à peu. Setsuka aimait ce danger qu’elle ressentait en fréquentant Sôichirô. C’était si excitant de savoir que l’on enfreignait les règles.
Cependant, elle comprit bien vite les sacrifices qu’elle devait faire pour qu’il la remarque ou encore pour rester avec lui. La leader du lycée avait perdue sa réputation de bonne élève, les jeunes parlaient dans son dos lorsqu’elle arrivait en retard, mal peignée et son uniforme mal mit. Elle qui était d’ordinaire si ordonnée et avait cette apparence irréprochable…
La liberté…Voilà ce qu’elle recherchait. Fille d’un chef d’entreprise et d’une grande coiffeuse, Setsuka ne connaissait pas ce qu’était la réelle liberté. Étant fille unique, ses parents la traitaient encore comme une enfant. Ainsi, lorsque Sôichirô arriva dans sa vie, tout bascula. Elle était une femme pour lui…
Les fugues d’une nuit se transformèrent en jours, semaines puis mois entiers. Passant ses journées entières dans les squats avec les amis de son copain à boire et fumer, Setsuka commençait à s’ennuyer mais, la simple présence du jeune homme la réconfortait. Que demander de mieux qu’être aimée? Pour elle, c’était tout ce qu’elle désirait…Mais, cet amour devint vite un cauchemar.
Jeune alcoolique, Sôichirô ne contrôlait pas sa force sous l’influence de l’alcool. Témoins de cette violence incontrôlée, les bras de Setsuka étaient recouverts de multiples bleus et coupures.
Ce fameux 29 novembre 1988, Setsuka était dans ces petits wc sales, la tête au dessus de la cuvette, parcourue de spasmes. Ses bras appuyés sur les parois vertes qui entouraient les toilettes. On distinguait sous cette lumière jaunâtre et clignotante les nouveaux bleus qu’elle avait eu en guise de cadeau d’anniversaire il y a trois jours de cela.
Après plusieurs longues minutes, la jeune femme finit par sortir des wcs, pâle comme un linge. Son visage, à l’époque si doux, s’était endurcit avec le temps, l’alcool, le froid poignant et la tristesse.
Tout en dirigeant d’un pas titubant vers le lavabo, Setsuka gardait une main posée sur son ventre, le regard vide. Comment une telle chose était-elle arrivée? Non!…Ce n’était pas possible! Ce n’était pas ça! Elle rêvait! Pourtant non…Ces horribles nausées…Ce goût infâme dans la bouche…
Alors qu’elle restait là, plantée au milieux de la petite pièce sale, la porte s’ouvrit dans un fracas qui aurait fait sursauté n’importe qui. Cependant, Setsuka était bien trop perturbée pour soucier de qui pouvait entrer ici d’une telle façon. Au pire, c’était Sôichirô encore sous l’influence de l’alcool.
Anormalement vides d’expression, les yeux de la jeune femme restaient fixés sur son pâle reflet. Elle ne bougea pas lorsque une main aux longs ongles noirs se posa sur son épaule.
La seule chose qui fit réagir la jeune femme fut la vue de ce visage familier. En face d’elle se trouvait la seule fille du squalt. Ses cheveux coupés au carré et teint d’un splendide violet foncé mais à la fois lumineux. Ses yeux noirs entourés de khôl aux couleurs sombres et son visage percé au niveau de l’arcade gauche, à la lèvre inférieure à droite et au menton.
Les yeux bleus de la jeune femme se détournèrent de son reflet pour se plonger dans le regard si sombre de son amie. La voix tremblante et cristalline de Setsuka résonna alors dans la pièce.
« Je suis enceinte Yumi…J’attends un enfant de ce monstre! »
Annonça-elle à la jeune asiatique aux cheveux violets en lui montrant ses avants-bras. Les yeux emplis de larmes, elle n’attendait plus rien de personne. Ayant parcourut bien trop d’épreuves pour encore avoir confiance en qui que ce soit, Setsuka fut donc surprise de la réponse de son amie.
« Je t’emmène chez moi! Mes parents t’aideront avec ton enfant. »
Tout ce qui suivit ce fameux matin fut comme un rêve pour la future maman. Parfois, allongée sur ce lit aux draps jaunes, Setsuka se demandait si elle n’était pas encore sous l’effet de la drogue ou de l’alcool. Nombre de fois elle avait crut qu’elle était revenue chez elle ou que tout ce qu’elle vivait n’était qu’un cauchemar et qu’elle allait se réveiller dans son lit, chez ses parents. Malheureusement, elle sortait de façon brutale de ces illusions.
Revenant à la dure réalité elle devait affronter son copain continuellement ivre mort, les attitudes plus que douteuses des autres garçons, la faim poignante et le froid qui vous empêchait de réellement dormir sous peine de ne plus se réveiller.
Lorsque on connaît de telles choses, il est difficile de croire que l’on se trouve bien au chaud dans un lit, nourrit et à l’abris de jeunes violents et pervers. Pourtant, c’était bien la réalité. Les parents de Yumi l’avaient gentiment accueillit et avec le temps ils finirent par la considérer comme leur propre fille. Setsuka et Yumi étaient donc devenues comme des sœurs.
Les mois passèrent, le ventre de la jeune femme aux yeux bleus grossissait à vue d’œil et les parents de Yumi avaient de plus en plus d’amour pour Setsuka. Les visites à l’hôpital se multiplièrent jusque au jour J.
Ce fameux 18 août 1989, Setsuka, Yumi et les parents de cette dernière étaient en voyage à Osaka. Ils avaient quittés, il y deux semaines de cela, la banlieue de la capitale japonaise pour rendre visite à la famille Natsume.
Setsuka perdit les eaux alors qu’ils se rendaient avec la famille Natsume au grand complet au temple. L’ambulance ne tarda pas à arriver et en trois quarts d’heure, la jeune femme et tout le famille étaient à l’hôpital.
Il fallut attendre deux heures et demie pour voir la petite bouille adorable d’Akuji.
Il n’est pas banal d’appeler son fils « méfait ». Pourquoi choisir un tel prénom pour son propre enfant? Il était facile de comprendre cela si on connaissait le visage de Sôichirô. Son fils en était le portrait craché. C’était bien trop difficile d’aimer son propre enfant lorsqu’il réveillait des peurs et des souvenirs profondément enfouis.
Bien évidemment, la compréhension de Yumi et ses parents était au rendez-vous. Ainsi, ils l’aidèrent durant cinq longues années à surmonter une telle épreuve. Plus le temps passait et plus Akuji ressemblait à son père.
Pour Setsuka, le cauchemar recommençait. Voir grandir son fils en voyant à travers lui Sôichirô était bien trop dur pour elle.
Un froid matin d’hiver, alors que la famille Natsume se réveillait en douceur tout comme Akuji, la porte d’entrée se referma sur une Setsuka en larmes, valise à la main. Bien qu’elle n’aimait pas son fils, il était dur pour elle de l’abandonner de la sorte.
La froideur de sa mère et son manque cruel d’amour à son égard avait fait d’Akuji un jeune garçon renfermé, arrogant et inexpressif. Bien qu’il fut surprit de découvrir le lit de sa mère vide tout comme ses armoires, il ne versa pas une larme et se contenta d’aller réveiller dans le calme ceux qu’il appelait ses grands parents.
A son inverse, les Natsume pleurèrent de longs mois en restant plongés dans l’incompréhension de ce départ. Sachant pertinemment que Setsuka ne reviendrait jamais, les parents de Yumi se sentirent obligés de parler avec le jeune Akuji. Ce fut deux semaines après le sixième anniversaire du jeune garçon et donc pratiquement un an après le départ de sa mère qu’ils se décidèrent à lui parler.
Allant trouver Akuji qui regardait sagement la télévision, ils furent surprit d’entendre la voix déjà rauque du jeune homme couvrir le son de la télé avant même qu’ils ne s’asseyent.
« Je sais qu’elle ne reviendra jamais… »
La mère de Yumi ne put s’empêcher de laisser parler quelques larmes sur ses joues pâles. Il prenait ça avec une telle indifférence que c’était dur d’entendre un jeune garçon d’à peine six ans parler de la sorte.
Il était si mature, si sage, si inexpressif pour son âge qu’ils avaient parfois l’impression quelque peu désagréable de se retrouver en face d’un jeune homme de trente ans.
« Akuji…Ne te sent pas responsable…Ce n’est pas de ta faute. Ta mère n’allait pas bien tu sais. Ce n’est pas à cause de toi qu’elle est partie. »
Bien qu’il était conscient que ces paroles n’allaient pas provoquer un quelconque changement d’attitude de la part d’Akuji, le père Natsume voulait tout de même réconforter le jeune garçon.
Leur regards se croisèrent. Si différents l’un de l’autre…Vide toute expression ou émotion quelconque, tout comme son visage, le regard d’Akuji se confrontait à celui si emplit de tristesse de l’homme qu’il appelait « Papy ».
Quelques minutes plus tard, le jeune garçon posa son regard sur la télé tout en répondant au vieil homme.
« Ne t’inquiète pas pour moi Papy! Je sais qu’elle ne m’a jamais aimé. Elle ne me désirait pas…Je ne suis même pas votre petit fils… »
Son doigt pressa le bouton rouge de la télécommande. Ne laissant même pas le temps à l’un des deux de répliquer, Akuji se leva, déposa un timide baiser sur les joues déjà fripées de ceux qu’il appelait Papy et Mamy.
Tout en se dirigeant vers l’escalier, Akuji se retourna une dernière fois avant de disparaître dans l’obscurité de la cage d’escalier.
« Je ne lui en veux pas…Je la comprends…Je la haïs autant que je me haïs… »
Les années qui suivirent cette brève discussion furent longues et difficiles pour les Natsume. Comment faire face et dialoguer avec un jeune garçon possédant déjà ce malaise caractéristique des adolescents?
La solution se présenta durant l’hiver de ses dix ans. Ce fut au mois de Janvier que Yumi tomba enceinte. Bien évidemment, un tel événement suscita le plus grand bonheur des parents de la jeune femme. Quelle ne fut pas leur erreur de croire qu’Akuji allait également être heureux…
La jeune femme avait troquée ses cheveux violets pour une coupe plutôt discrète et du noir, ses yeux étaient subtilement maquillés tandis qu’elle avait retirée ses multiples pierriers. A présent devenue une jeune femme mûre et splendide, Yumi s’était trouvée un homme digne de ce nom qui l’aimait pour ce qu’elle était.
Le bonheur était au rendez-vous mais se heurtait au visage froid et inexpressif d’Akuji qui ne semblait ressentir que de la haine pour le futur arrivant…
Comment apprécier un enfant qui même avant d’être né était aimé de ses parents et grands-parents? Se sentant rejeté et manquant cruellement d’amour, Akuji s’enferma dans un mutisme inquiétant. Ne mangeant plus que le strict minimum pour survivre à seulement dix ans révolus. Ses yeux pétillants d’une haine incontrôlable et démesurée étaient plus cernés que ceux d’un adulte épuisé par son travail. Ses avants-bras tout comme son torse étaient recouverts de multiples coupures qu’Akuji se faisait le plaisir de renouveler. Solitaire autant à la maison qu’à l’école, Akuji rejetait tout contact humain ou approche de n’importe quelle sorte. Il était hors de question pour lui de s’ouvrir aux autres. Pourquoi? Il était si bien comme ça…Il ne connaissait rien d’autre!
[suite]